JFK : JEUNESSE ET ÂGE ADULTE

Une lutte contre la maladie qui prit fin le 22 novembre 1963, à 12h30

  Si de nombreux reproches, pour la plupart méconnus du grand public, peuvent être fait à John Kennedy, on ne peut, en revanche, que s'incliner devant une qualité dont il fit preuve toute sa vie durant : le courage.

  Dès sa plus tendre enfance, il dut lutter contre un nombre incalculable de maladies. Comme l'explique Reeves, avant même d'avoir atteint l'âge de trois ans, JFK avait déjà eu la scarlatine, la coqueluche, la rougeole et la varicelle. À onze ans, la rubéole et plusieurs bronchites s'ajoutèrent à sa "vitrine". En 1931, il subit une appendicectomie (ablation de l'appendice) et commença à porter des lunettes qu'il s'efforcera de cacher aux journalistes tout au long de sa carrière de politicien (les photographies le montrant avec ses lunettes sont très rares). N'oublions pas de mentionner l'asthme dont il souffrait et sa grave allergie au poil de chien, ainsi que l'opération des amygdales et des végétations qu'il subit en 1933.

  Les maladies, bénignes ou dangereuses, se succédaient en effet à vitesse V : des rhumes aux oreillons en passant par le ganglion enflé, un urticaire et un affaissement de la voûte plantaire... sa santé n'était pas très stable, c'est le moins que l'on puisse dire. Cependant, d'après son frère Robert, John ne s'était jamais plaint ou apitoyer sur son sort (bien que l'on puisse légitimement se méfier des déclarations des Kennedy (propagande, éloges...), il semble cependant que cette affirmation soit justifiée).

 

  Mais la maladie dont John souffrit jusqu'à la fin de sa vie fut celle d'Addison, une insuffisancechronique des surrénales, qui se traduit par une faiblesse générale, un manque d'appétit, une perte de poids et une pigmentation jaunâtre ou brunâtre de la peau. Cette maladie, bien souvent fatale à l'époque, fut diagnostiquée pour la première fois en 1947. JFK était en voyage en Irlande lorsque, la douleur, devenue insupportable, le contraignit à se rendre à Londres pour se faire hospitaliser. Un médecin avoua à une amie de John : "Votre jeune ami américain a moins d'une année à vivre." Il fut rapatrié à New York sur le Queen Mary. Arrivé au port, un prêtre monta à bord et lui administra l'extrême-onction. JFK ne décéda pas pour autant. Des médecins lui prescrirent du DOCA, une substance permettant de réduire la douleur. En automne de cette même année, Kennedy, qui siégeait alors au Congrés, faillit succomber de nouveau à la maladie. 

  En 1949, combinée au DOCA, il commença à prendre quotidiennement de la cortisone par voie orale qui, au final, était devenue vitale. Les Kennedy prirent soin de placer du DOCA et de la cortisone un peu partout dans le pays (dans des coffres de dépôt), pour soigner JFK en urgence au cas où une crise se déclarerait alors qu'il serait en déplacement. Inutile de préciser que les Kennedy et leurs collaborateurs remuèrent ciel et terre pour dissimuler le plus possible les faits, un candidat à la présidence en mauvaise santé risquant de perdre de nombreuses voix. Ainsi, lorsque, en 1959, un journaliste à qui il avait accordé une interview l'interrogea sur sa santé, Kennedy répondit :

 

"Voici les faits : pendant la guerre, j'ai contracté le paludisme dans le Pacifique Sud, ainsi que diverses fièves, et je suis resté trop longtemps dans l'eau(précision ramenant son image de héros sur le devant de la scène). Le diagnostic a montré que ces ennuis étaient accompagnés d'une insuffisance partielle des surrénales (qui, en réalité, était très loin d'être partielle) (...) De 1946 à 1949, j'ai suivi un traitement pour le paludisme – les accès de fièvre avaient cessé – qui a abouti à une guérison totale, et je n'ai pas eu besoin de soins médicaux ni de bilan de santé particulier à cet égard, tout en respectant un calendrier très chargé de réunions de comités, de travaux au Sénat et d'allocutions."

 

  Cette dernière remarque était dénuée de toute vérité. En réalité, JFK manqua de nombreuses séances à la Chambre des Députés : « pendant la troisième session, écrit Reeves, il était l'un des quatre membres les plus souvent absents" (un de ses collègues de la commission de l'Éducation et du Travail déclara : "Parfois, nous n'avions pas le plaisir de la compagnie de John pendant des mois d'affilée.")

  Cependant, les adversaires de Kennedy n'étaient pas dupes. Ils essayèrent d'en tirer profit. Parmi, Lyndon Johnson (Johnson était démocrate mais, comme pour le Parti socialiste en France, il y a des primaires qui permettent de choisir le candidat qui représentera le parti. Ici, les deux candidats étaient JFK et LBJ). En juillet 1960, India Edwards, une assistante de Johnson, affirma que Kennedy "ressemblait à un bossu qui boitait" et ajouta : "Des médecins m'ont affirmé que, sans la cortisone, il ne serait plus en vie" (ce qui est d'ailleurs probable). En guise de réponse, Ted Sorensen, un collaborateur de JFK, affirma que ce dernier n'avait jamais pris de cortisone et ajouta trois semaines plus tard : "Pour autant que je sache, il ne prend pas davantage de médicaments que vous ou moi." Kennedy fut même plus clair : après les élections, il déclara tout simplement :

 

"Je n'ai jamais été atteint de la maladie d'Addison."

 

  Kennedy devait prendre tous les jours des bains chauds et dormir avec une planche sous son matelas. Parfois, notamment à la Maison-Blanche, il passait la nuit à même le sol.

  Quelques années plus tard, en déplacement au Japon, sa maladie d'Addison le rattrapa : il tomba gravement malade (sa température monta à 41°C) et les probabilités de le sauver étaient faibles. Mais, une fois de plus, il survécut.

  Son état se détériora particulièrement à partir de 1953 et ne s'améliora pas pendant un bon bout de temps, à tel point qu'il fut contraint de porter des béquilles à partir de mai 1954. Comme pour ses lunettes, il s'efforçait de ne pas les utiliser en publique (quelques vidéos le montre cependant avec). Aussi les utilisait-ils juste avant de faire une intervention, et, contractant le dos, s'en débarrassait une fois devant l'audience.

  Vers la fin de l'année 1954, les souffrances étaient devenues intolérables : c'est à peine s'il pouvait marcher, même avec les béquilles. Il avait perdu dix-huit kilos. Il fut admis au New York Hospital for Special Surgery le 10 octobre, et fut opéré le 21. L'opération, une double fusion extrêmement risquée, tourna mal, et une infection se déclara trois jours plus tard. Dans un état critique, JFK tomba dans le coma. Encore une fois, un prêtre lui administra les derniers sacrements. Et, encore une fois, Kennedy se rétablit.

  Moins de quatre mois plus tard (février 1955), il retourna à l'hôpital. Une nouvelle infection s'était déclarée, si bien qu'il dut se faire retirer une plaque d'argent qui avait utilisée lors de la première opération. Ce n'est pas une blague (je ne me permettrai pas de rire de ça !), mais un prêtre lui administra encore et toujours les derniers sacrements. "En vain", si j'ose dire. La mort ne semblait pas vouloir de JFK. D'après Dan Powers, Kennedy « avait dans le dos un trou dans lequel j’aurais pu enfoncer mon poing jusqu’au poignet ». Une fois sorti de l'hôpital, il partit se reposer dans la résidence des Kennedy, à Palm Beach, Floride. La douleur était toujours présente, et il ne pouvait dormir plus de deux heures d'affilée.

  On peut le comprendre, JFK était résigné et se sentait condamné. Il confia un jour au journaliste John Alsop :

 

“Comme je suis atteint de cette maladie, ils me donnent tout le temps des médicaments. À force de les prendre, je serai fini à quarante-cinq ans (…) L’important, c’est de vivre chaque jour comme si c’était votre dernier jour sur terre. C’est ce que je fais.”

 

  D'après plusieurs témoignages, John, conscient que la maladie allait sans aucun doute l'emporter, devint plus attachant.

 

 

Un homme d'exception

  ... dans le sens "comme on en fait peu" (et non "admirable").

 

  Du fait de l'éducation draconienne qu'il reçut tout au long de son enfance et de son adolescence, John Kennedy n'avait que très peu de relations affectives, sinon aucune, avec qui que ce soit. Chacun des enfants – et plus particulièrement les garçons – ayant reçu la même éducation, tous les hommes de la famille étaient pareils : le mot "émotion" ne faisait pas partie de leur vocabulaire. À partir de là, on ne peut être vraiment surpris par l'épisode suivant : un soir, alors que James White, attaché de rédaction au Washington Times-Herald, massait le dos de Kathleen Kennedy (ils sortaient alors ensemble), celle-ci se retourna et lui dit au bord des larmes : "Écoute, il y a une chose que tu dois savoir à mon sujet : je suis comme John, incapable de ressentir des émotions profondes".

   Cependant, vers la fin de sa vie, JFK commença à être plus affectif. Tous les témoignages confirment qu'il s'était attaché à ses enfants et se préoccupait de leur avenir. De même, il pleura (verbe qui ne colle absolument pas avec l'impérialisme Kennedy) lorsque son quatrième enfant mourut d'un syndrome de détresse respiratoire. C'est la moindre des choses pour le commun des mortels. Pas pour John. En effet, lorsque, le 23 août 1956, Arabella Kennedy, le premier enfant du futur couple présidentiel, naquit après une fausse couche de Jackie et ne survit pas, JFK, qui se trouvait alors sur un luxueux yacht dans les eaux grecques, choisit de ne pas rejoindre son épouse pour être à ses côtés. Il lui fit croire que l'information, si tragique fusse-t-elle, ne lui avait pas été transmise, du fait des mauvais moyens de communication de la région où le bateau naviguait. Mais, pour leur quatrième enfant (soit le deuxième qui décéda dès sa naissance), ce fut complètement différent. Ce drame influa fortement sur l'état d'esprit du président ("ce fut un moment atroce pour cet homme qui avait toujours su maîtriser ses émotions", témoigne le cardinal Cushing) ; pour la première fois, il se rapprocha de son épouse. Citons un passage du livre de Reeves :

 

« Bill Walton, qui passa le week-end avec eux, raconte : "Elle s'accrochait à lui et il la tenait dans ses bras, ce que personne n'avait jamais vu, parce que c'était un couple très discret". L'adjoint du ministre de la Défense, Roswell Gilpatric, confirme : "Il y avait entre eux une tendresse grandissante... Je crois que leur mariage avait finalement commencé à marcher". »

 

 

  En dépit de son éducation, John savait faire preuve d'humour. Il adorait faire des farces : un jour, alors qu'il était étudiant au Choate Rosemary Hill, une école d'élite préparatoire, sa mère lui fit parvenir un cajot d'oranges qu'il s'amusa à balancer sur les autres élèves depuis sa chambre. Selon Lem Billings, son compagnon de chambre pendant deux ans (qui s'engagera ensuite dans sa campagne présidentielle de 1960), "son sens de l'humour était inégalable. De ma vie, je n'ai connu un garçon aussi amusant".    

 

  Un des atouts majeurs de Kennedy était son charme. Il en était parfaitement conscient, et apprit très tôt à s'en servir pour parvenir à ses fins. Cela lui permit notamment de séduire de nombreuses femmes. D'après Reeves :

 

« les filles se succédaient dans son lit à tel point qu’il ne se donnait même plus la peine de retenir leur prénom, les appelant simplement "chérie" ou "mignonne" le matin venu ».

 

  Les incessantes infidélités de JFK envers Jackie aurait pu fortement ternir l'image du président du progrès qu'il incarnait. Mais, bien entendu, les services secrets ou la Maison-Blanche s'arrangeaient toujours pour les cacher des yeux du monde. Ainsi, pour duper les journalistes, Kennedy faisait souvent venir des jeunes femmes dans des camions de fleuristes. Jackie n'était pas stupide, et avait parfaitement connaissance des actes de son mari. Probablement par "vengeance", elle trouvait un malin plaisir à l'humilier en ironisant. Par exemple, lorsqu'elle découvrit un jour de la lingerie féminine dans une taie d'oreiller, elle la tendit froidement à John en disant :

 

“Pourrais-tu te renseigner pour voir à qui cela appartient ? Ce n’est pas ma taille”.

 

  Cependant, les services de la Maison-Blanche essayaient à tout prix d'empêcher Jackie de surprendre son mari en flagrant délit. Ainsi, lorsque John se baignait (nu) dans la piscine de la "White House" en compagnie de prostituées, les gardes du corps de ce dernier devaient surveiller les déplacements de la Première dame et prévenir rapidement le président lorsque celle-ci se rapprochait de ladite piscine, pour que les jeunes femmes soient évacuées. Toujours à propos des frasques de JFK, relatons un épisode absolument incroyable figurant dans le livre de Reeves :

 

« En dehors de la Maison-Blanche, les services secrets devaient souvent s’entourer de précautions particulières pour dissimuler les écarts de conduite présidentiels. Comme les journalistes avaient envahi l’entrée du Carlyle Hotel de New York, des agents faisaient passer le président sous le Carlyle, par une enfilade de tunnels qui conduisaient à des immeubles et des hôtels où il pouvait se distraire. “C’était une vision assez bizarre, admet Charles Spalding (ami de JFK). John, les deux hommes des Services secrets et moi marchant dans ces gigantesques tunnels sous les rues de la ville, le long de ces énormes tuyaux, chacun de nous muni d’une torche. Un des agents portait également un plan du sous-sol et disait de temps à autre : “Par ici, Monsieur le président””. »

 

 

  Mais, outre l'aspect éthique, ces écarts de conduite pouvaient s'avérer extrêmement dangereux pour le pays. Citons à nouveau Reeves :

 

« D’après Langon Marvin, consultant, John échappa à ses agents à New York pour se rendre en cachette à une soirée. Ce faisant, il se trouva séparé de l’officier qui le suivait avec les codes nucléaires fixés à son poignet ; cette situation s’est sans soute répétée à plusieurs reprises lors des escapades nocturnes de Kennedy. “Les Russes auraient pu nous bombarder comme des fous et rentrer chez eux, souligne Marvin, et nous n’aurions rien pu faire”. »